la mémoire du matelas
La mémoire du matelas
Parfois on le trouve tout avachi sur un bord du trottoir, appuyé tant bien que mal contre un mur ou un arbre, ce vieux matelas tout difforme qui, pareil à lui-même, continue d’attendre une présence humaine. Cette fois c’est lui qui est attendu par l’enfouisseur ou le recycleur. Dans son état présent, il ne sert plus. Ce grand témoin silencieux n’aura pas de rituel d’adieu honorant l’humanité qu’il a humblement servie toutes ces années. Il emporte avec lui les traces de peaux, de poils, de sang, de pleurs, de cyprine, de sperme, de cheveux, de sueurs, de plumes enfouis dans sa matière et ses ressorts.
Il emporte avec lui la mémoire des rêves, de rires, des cauchemars, des délicieux coïts, orgasmes, des suprêmes détentes, des détresses passagères, des douleurs , douceurs, des rhumes inventés, des maux de dos, des chaleurs de ménopause, de mai et les autres, des frissons, des batailles d’oreillers, des angoisses nocturnes, des cris, des matins fleuris, des déjeuners d’amoureuses, des langueurs , des gémissements de plaisir, de baisers humides, des ennuis, des chagrins … des vies passées dans tous leurs états sous ses draps.